Qui pensait que 2025 serait une année mouvementée et espérait un retour au calme en 2026 risque fort de déchanter. L’échiquier géopolitique a été secoué par un véritable séisme au cours des douze derniers mois. Des règles, des valeurs, des normes et des alliances que l’on croyait gravées dans le marbre vacillent désormais. Au centre de cette recomposition : les États-Unis, engagés dans une profonde réorientation stratégique, tant sur le plan économique que politique et militaire. Accrochez-vous !
L’aigle et le dragon
L’année a débuté par une guerre tarifaire. Pour accéder au marché américain, la barre a été placée à des niveaux vertigineux par Washington. Principale cible : la Chine. En avril, Donald Trump a imposé un droit de douane record de 145 %. Pékin a riposté avec un tarif de 125 %, paralysant temporairement les échanges bilatéraux. Si la tension s’est quelque peu apaisée depuis, avec des droits réduits, la relation reste fragile et une nouvelle escalade n’est jamais loin. Les motifs de discorde abondent : excédent commercial chinois, litiges sur la propriété intellectuelle, contrôles à l’exportation, accès aux matières premières stratégiques, sans oublier Taiwan et la mer de Chine méridionale. Cette rivalité sino-américaine demeurera en 2026 un risque majeur pour l’économie mondiale.
Une croissance américaine en forme de K
Ces tarifs pèsent également lourd sur l’économie américaine, menacée par une spirale de stagflation. Au départ, les importateurs américains ont absorbé le choc, mais peu à peu, le consommateur lambda en subit les conséquences. Les prix alimentaires flambent, rognant le pouvoir d’achat. À cela s’ajoute la hausse des coûts de l’électricité, dopée par la frénésie autour de l’intelligence artificielle. La construction de data centers pour soutenir cette révolution technologique a fait exploser les tarifs énergétiques.
Parallèlement, les investissements liés à l’intelligence artificielle ont offert à l’économie américaine un véritable coup d’accélérateur au cours des douze derniers mois. Plus encore, leur ampleur a été telle qu’ils ont masqué la contraction des investissements dans les autres secteurs. La flambée de l’IA s’est naturellement répercutée sur Wall Street, permettant aux investisseurs de profiter pleinement de cette dynamique.
De plus en plus, l’économie américaine adopte un profil de croissance en « K », la fameuse K-shaped economy. Les ménages aisés, qui investissent en Bourse ou travaillent — directement ou indirectement — pour l’industrie technologique et l’IA en plein essor, ont vu leur patrimoine s’envoler cette année. À l’inverse, une frange croissante de la population, moins favorisée, subit les effets pervers de cette mutation. La baisse des investissements dans les secteurs hors IA entraîne des suppressions d’emplois, tandis que la flambée des prix frappe durement ces foyers.
Cette économie à deux vitesses sera scrutée avec la plus grande attention par les marchés financiers en 2026, compliquant d’autant la mission de la Réserve fédérale.
Qui succédera à Jerome Powell ?
Contrairement à la Banque centrale européenne (BCE), la Réserve fédérale américaine (Fed) est investie d’un double mandat : garantir la stabilité des prix tout en visant le plein emploi, sans provoquer de dérapage inflationniste. Une équation particulièrement complexe en 2025. D’un côté, l’inflation a poussé les « faucons » de la Fed à plaider pour des hausses de taux ; de l’autre, le marché du travail donnait des signes évidents de ralentissement. Était-il temps, au contraire, d’amorcer des baisses ?
La Fed, divisée, a opté pour une stratégie d’attente, au grand dam du président Trump, fervent partisan d’un climat monétaire plus accommodant pour soutenir la croissance. Finalement, la dégradation du marché de l’emploi a pris le dessus, entraînant trois baisses de taux en 2025. Pour l’an prochain, la plupart des analystes anticipent encore quelques ajustements supplémentaires. Mais le successeur de Powell, nommé par Trump, pourrait aller plus loin. Son mandat s’achève en mai 2026, et Kevin Hassett figure en tête de liste. Actuel directeur du National Economic Council, conseiller chevronné de Trump et ardent défenseur d’une baisse rapide des Fed Funds, Hassett devrait entrer en fonction en juin. Premier rendez-vous décisif : l’été 2026.
Quo vadis Europa ?
Nous concluons par l’Europe, et ce choix n’a rien d’anodin. Les coûts énergétiques élevés pèsent lourdement sur la compétitivité face à la Chine et aux États-Unis. Les droits de douane, bien qu’abaissés à un taux uniforme de 15 %, continuent de freiner la croissance. À cela s’ajoute un contexte budgétaire tendu dans plusieurs États membres, qui menace de bloquer des investissements pourtant vitaux. Sur le plan géopolitique, le Vieux Continent a été relégué à plusieurs reprises au second plan. L’Europe doit se réinventer d’urgence.
Dès l’automne 2024, Mario Draghi, ancien président de la BCE, avait mis en lumière les failles dans son rapport « The Future of European Competitiveness ». Il y appelait à une dérégulation ambitieuse, à une renaissance numérique, à des investissements massifs dans les infrastructures énergétiques et, surtout, à une réforme profonde des institutions européennes pour affronter la nouvelle réalité géopolitique. Un an plus tard, force est de constater que peu d’initiatives ont été prises, et 2025 en a payé le prix.
L’année 2026 sera-t-elle pour l’Europe une annus horribilis ? Pas nécessairement. Les chaînes d’approvisionnement se sont normalisées. Les prix du gaz et du pétrole ont chuté, redonnant de l’air aux ménages et à l’industrie. Les dépenses militaires pourraient devenir un moteur de croissance, Berlin ayant renoncé au dogme du « schwarze Null ». Ces effets devraient commencer à se faire sentir dès l’an prochain.
L’Europe doit abandonner l’illusion qu’attendre le consensus est synonyme de bonne gouvernance. Si elle agit sur les points cruciaux identifiés par Draghi, l’avenir pourrait s’éclaircir.